Un cinquième de l’économie mondiale et 750 millions de personnes : c’est ce que pèsent aujourd’hui l’Union européenne et les cinq pays du Mercosur, à savoir l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie. De quoi donner une idée des conséquences d’un éventuel accord de libre-échange entre ces deux mastodontes commerciaux.
Le 28 juin 2019, la Commission européenne annonçait que le traité UE-Mercosur était bouclé, prêt à passer les dernières étapes de ratification. “C’est un accord réellement historique”, avait alors réagi le président de l’exécutif européen de l’époque, Jean-Claude Juncker. Mais depuis cette date, l’accord de libre-échange n’a toujours pas été appliqué. Retour sur ce projet controversé.
Qu’est-ce que le Mercosur ?
Le “marché commun du Sud”, ou Mercosur, est un espace de libre circulation des biens et des services en Amérique latine. Il regroupe cinq pays : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie. La Bolivie y a adhéré mi-2024 et dispose de plusieurs années pour adopter les règles du Mercosur, tandis que le Venezuela en a été suspendu en 2016 pour des raisons politiques. Le Chili, la Colombie, l’Equateur, le Guyana, le Pérou et le Surinam sont des membres associés au Mercosur.
Ses Etats membres élaborent une politique commerciale commune et coordonnent plusieurs de leurs politiques. Certaines législations et pratiques ont aussi été harmonisées afin de garantir le bon fonctionnement de ce marché. Ces pays sont par exemple en train de supprimer les frais téléphoniques supplémentaires lorsque leurs citoyens voyagent dans un autre Etat membre, à l’image de ce qui existe déjà dans l’Union européenne.
Le Mercosur a pris forme avec le traité d’Asunción (Paraguay), signé le 26 mars 1991. Parfois considéré comme le 3e bloc économique après l’Union européenne et le trio Canada/Etats-Unis/Mexique, le Mercosur représente plus de 80 % du PIB sud-américain.
Quel est l’objectif de l’accord entre l’UE et le Mercosur ?
Comme tout accord de libre-échange, l’objectif du traité avec le Mercosur est d’intensifier les échanges de biens et de services entre l’UE et les économies latino-américaines. En d’autres termes, donner un coup de fouet au commerce transatlantique.
Les entreprises européennes se heurtent aujourd’hui à des barrières commerciales lorsqu’elles exportent vers cette région. Le Mercosur applique par exemple des droits de douane de 27 % sur le vin et de 35 % sur les voitures et les vêtements importés depuis l’UE. Des normes et réglementations différentes imposent par ailleurs aux exportateurs européens des procédures pour prouver que les produits de l’UE répondent à certaines exigences en matière de sécurité alimentaire ou de santé animale. Les entreprises brésiliennes ou argentines ont des contraintes comparables si elles veulent exporter vers l’Union européenne.
Selon la dernière analyse d’impact commandée par la Commission européenne, un accord engendrerait 0,1 % de croissance supplémentaire dans l’UE à l’horizon 2032. Côté Mercosur, la croissance pourrait augmenter de 0,3 %.
L’Union européenne compte aujourd’hui près de 50 accords commerciaux avec des pays du monde entier. Alors que le multilatéralisme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est en panne, les accords bilatéraux de libre-échange sont devenus centraux dans la stratégie commerciale européenne. Plus ou moins approfondis, ces partenariats comportent toujours une diminution des droits de douane.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, la construction européenne s’est réalisée parallèlement à la libéralisation des échanges mondiaux, à laquelle elle a contribué. L’UE s’est elle-même fondée sur les principes de libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux, qui sont le leitmotiv de son marché unique.
Que contient l’accord ?
Le texte conclu en 2019 prévoit d’éliminer plus de 90 % des droits de douane imposés par le Mercosur et l’UE aux produits venant de part et d’autre de l’Atlantique. Le marché européen s’ouvrirait ainsi plus largement aux produits agricoles sud-américains, sur la base de quotas. 99 000 tonnes de bœuf par an pourraient par exemple entrer en Europe à un taux préférentiel (7,5 %), ainsi que 60 000 tonnes de riz et 45 000 tonnes de miel sans obstacles tarifaires.
Les droits de douane du Mercosur seraient quant à eux progressivement éliminés sur les voitures, les machines, la chimie, les vêtements, le vin, les fruits frais ou encore le chocolat venus d’Europe.
Des mécanismes de sauvegarde autoriseraient les deux parties à limiter temporairement les importations en cas de préjudice grave porté à leur économie. Le Mercosur reconnaîtrait aussi plusieurs indications géographiques de l’UE, qui protègent les produits européens de haute qualité de la contrefaçon, à l’image du prosecco italien ou du roquefort français.
L’Union européenne est le second partenaire commercial des pays du Mercosur, après la Chine. L’UE est aussi le premier investisseur étranger dans la région. A l’inverse, le Mercosur représente le 11e partenaire commercial des Vingt-Sept et seulement 2 % de leurs exportations.
Pourquoi l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur est-il critiqué ?
Comme beaucoup d’accords de libre-échange, le traité entre l’UE et le Mercosur est sous le feu de critiques. Ses opposants pointent du doigt l’opacité des négociations et dénoncent ses potentielles conséquences environnementales et sociales.
Sur le plan économique et social, ses détracteurs l’accusent notamment de contribuer à importer plus de produits agricoles dans l’UE sans pour autant respecter toutes ses règles, favorisant une concurrence déloyale et exerçant une pression sur le marché européen. Alors que la grogne des agriculteurs s’est étendue à quasiment toute l’Europe en début d’année 2024 pour des raisons multiples, le président français Emmanuel Macron a renouvelé ses réserves sur le projet de traité commercial, soutenant notamment l’introduction de clauses miroirs. “La règle qui vaut à l’intérieur pour la production doit valoir à l’extérieur quand on facilite les importations”, a résumé le chef de l’Etat en marge du Conseil européen de février dernier.
D’un point de vue écologique, les opposants au traité avec le Mercosur soulignent que l’intensification des flux commerciaux contribue à augmenter les émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. D’aucuns alertent également sur les écarts entre l’UE et le Mercosur en matière de normes environnementales. La question de la déforestation en Amazonie et des pressions sur la savane brésilienne est également soulevée par des ONG comme Greenpeace.
Quelles sont les prochaines étapes pour le traité de libre-échange UE-Mercosur ?
Ouvertes à la fin des années 1990, les négociations entre l’UE et le Mercosur avaient abouti en juin 2019. Le processus a ensuite été suspendu, avant la ratification finale, en grande partie à cause des politiques du président brésilien de l’époque Jair Bolsonaro concernant l’environnement et la déforestation. Les discussions avaient ensuite repris avec l’élection de Luis Inácio Lula da Silva (dit “Lula”), fin 2022.
Certains pays, dont la France, ont montré leurs réticences vis-à-vis d’un traité jugé peu ambitieux sur les plans environnemental et social. Le Parlement européen avait lui-même voté un amendement en octobre 2020, affirmant que le texte ne pouvait pas “être ratifié tel quel”. Les députés de Strasbourg soulignaient là aussi les dégâts potentiels du projet sur la forêt amazonienne.
Les négociations portent aujourd’hui essentiellement sur l’environnement et la lutte contre le changement climatique. Maintenant que les élections européennes de juin sont passées, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen souhaite aboutir à un compromis avant la fin d’année 2024. Si tel était le cas, l’exécutif européen pourrait soumettre l’accord entre l’UE et le Mercosur au vote des Etats membres puis des eurodéputés.
La politique commerciale commune est une compétence exclusive de l’Union européenne. En ce qui concerne les traités de libre-échange, la Commission européenne doit recevoir un mandat de négociation des Etats membres. Une fois les pourparlers achevés avec la partie tierce, le texte doit ensuite être validé par les pays de l’UE (à la majorité qualifiée) et le Parlement européen. Dans certains cas, chaque Etat doit ensuite ratifier le nouveau traité avant sa mise en œuvre.
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